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BELLEVAUX, L'ANARCHIE DANS LA SOUPE
BELLEVAUX, L'ANARCHIE DANS LA SOUPE
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BELLEVAUX, L'ANARCHIE DANS LA SOUPE
20 janvier 2017

-3-FRIPOUILLE LE CHABLAISIEN ou l'insoutenable légèreté de mes maître ( feuilleton hebdo N° 3)

 

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FRIPOUILLE LE CHABLAISIEN

ou l'insoutenable légèreté de mes maîtres 

( feuilleton hebbo, paraissant le Vendredi)

 

 Auteur : Christian Cornier (Polycarpe)

 

 

Il n’est pas plus traître miroir que celui de la fiction. Les morts dans la pénombre, les êtres vivants, les ombres nues de l’enfance, les ressemblances ou encore la fortuite et pure coïncidence... L’imposture, même inconsciente, d’un auteur avec sa propre histoire déconstruite a immanquablement des reflets..

 

 

 J’habite une larme

 

Il était une fois...


Voici l’histoire de ma famille, racontée par feu ma mère Métis, et, surtout, celle que je vis parmi vous aujourd’hui dans cette belle ville d’eau, de loisirs et de retraités capillairement ou financièrement plus ou moins argentée : Thonon-les-Bains. 

Maman, une bull-terrier à robe blanche immaculée, est donc née de l’autre côté de la Manche, chez la comtesse Sophie Rhys-Jones de Wessex, à deux pas généalogiques de la famille royale.


Sitôt sevrée, elle fut offerte comme présent à un couple québécois, amis de la famille : Adeline et Denis Carignan, et à leur fils (imbuvable et adolescent finissant), Édouard. Denis Carignan, éminent chercheur en physique des particules, après avoir passé trois ans à Londres, avait eu l’heureuse surprise d’apprendre que sa candidature avait été retenue au CERN, à Genève, dans le cadre du programme sur les applications du Boson de Higgs.

La famille Carignan, quelques mois après, s’installa à Gex, en location dans une villa luxueuse à la mesure de leurs larges moyens financiers.

FRIPOUILLE CARIGNAN

 Adeline Carignan trouva rapidement un poste d’enseignante à mi- temps au Conservatoire de Musique de Genève, rue de l’Arquebuse. Son fils Édouard, lui, compléta sa formation managériale dans une boîte privée coûtant un saladier à ses géniteurs.

Le bonheur était dans le pré, le CERN de l’autre côté. 

 

CERN_Wooden_Dome

 

La vie s’écoula lentement pendant des années dans la sérénité friquée et regroupée des nantis et gentils frontaliers.
Pour Métis, la vie était aussi calme et paisible, excepté avec le fils de la famille Carignan, qui était, sans pouvoir rester poli dans le qualitatif, con comme un manche à balai. 

En effet, ce jeune abruti aurait préféré à Maman, sans l’ombre d’un doute, un berger allemand bien discipliné et obéissant à l’œil, au doigt et à la trique.
Ma mère, au lieu de cela, était raffinée, douce et très intelligente, avec une singulière disposition à l’écoute, alimentée par une soif de connaissance jamais rassasiée. 

Édouard, lassé d’un changement impossible dans le dressage du chien de la famille, devint à son encontre indifférent, voire parfois méprisant.
Le geste lâche joint à la parole débile : des coups discrets de serviette, de pantoufle ou de Tribune de Genève repliée s’abattaient de temps à autre sur le museau de Métis, au milieu d’invectives de salle de garde. 

Ce qu’il ne supportait pas avec cet animal, c’est la relation de tendresse que ses parents entretenaient avec leur chienne.
À croire que ce quadrupède à poils et à tête carrée suscitait plus d’intérêt que lui. 

Un comble du dysfonctionnement familial à ses yeux. 

D’ailleurs, ce n’était pas le seul grief contre ses parents qu’il ruminait en boucle, car jamais, à aucun moment de son enfance et de son adolescence, il ne s’aventura dans l’enthousiasme de ses procréateurs pour la connaissance, la science et l’art. 

Les armes, les voitures, le foot et, récemment, le management occupaient seuls son esprit serré et intolérant. 

Assez tôt, sa volonté d’indépendance, aidée du confortable compte courant UBS de son père, l’amenèrent à louer un appartement dans une haute tour du quartier des Eaux-Vives à Genève.

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Pour Adeline Carignan, qui avait des problèmes de vue, son mari avait pris l’habitude, depuis des années, de lui faire la lecture. Sciences sociales et humaines, psychologie, ésotérisme, mythologie, poésie, grands auteurs, préceptes de Bouddha, Bible, Coran... Cioran ?... Nizan ou Petit Jean-Jean (je ne me souviens plus très bien) faisaient partie de son quotidien.

 

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Denis, sur son fauteuil à bascule, sans lassitude et avec le ton juste des choses comprises, lisait à haute et intelligible voix dans la quiétude feutrée du salon.
Abonné à une quantité de journaux ou magazines, Monsieur Carignan faisait le même partage contemporain de nouvelles et d’intérêt avec : Sciences et Vie, Ça m’intéresse, Histoires et Psychologies Magazines, L’Obs, La Tribune de Genève, Le Dauphiné Libéré et Le Messager. 

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Adeline, les yeux fermés, et Métis, ma mère, dans son panier, les pattes avant croisées, écoutaient. Avec délectation, elles emmagasinaient toutes deux les mûrs fruits écrits de l’érudition universelle des hommes. 

Voilà pourquoi Maman, dotée d’une prodigieuse mémoire et baignant dans cette antre de gentillesse et de connaissance recherchée, était devenue si savante et si cultivée.
Incroyable dans une vie de chien, elle était capable de lire les enseignes, les noms de rue ou les titres des journaux. 

Puis, comme dans un bon – ou mauvais – roman de gare au trop plein de bonheur, les nuages noirs des séparations fatales se rencontrèrent violemment sous la forme glaciale d’un mortel accident de voiture, sur les routes givrées de la campagne vaudoise. 

Un mauvais croisement de hasards et de situation de face mal évaluée avec un camion de chocolat, un ravin en contrebas et le méchant destin retourné de la famille Carignan laissèrent tragiquement deux orphelins.

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Ma mère Métis, restée à Gex chez une voisine, et le sinistre fils, Édouard, après une sortie en quad, apprirent l’horrible nouvelle, le dimanche matin à l’heure du thé ou du café.
Ma mère, dans son indicible peine, pleura beaucoup en se cachant des humains. 

Son chagrin redoubla le surlendemain, à l’arrière de la voiture customisée de l’héritier Carignan. Il l’emmenait vers une nouvelle vie. Ma mère le supputait sans surprise, emplie d’ennui et de tristesse. Comme prévu, la vie avec ce surgonflé du melon devint rapidement un cauchemar. 

Édouard, le geste électrique, s’enquit à nouveau de dresser ma mère, avec trique et laisse, dans les allées du Parc des Eaux-Vives.

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Le calvaire dura six mois. La décision sans retour de ma mère fut prise en une semaine.

 

Polycarpe.

( la suite vendredi prochain, ou le tout, tout de suite en commande chez l'éditeur)

FRIPOUILLE

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