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BELLEVAUX, L'ANARCHIE DANS LA SOUPE
BELLEVAUX, L'ANARCHIE DANS LA SOUPE
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BELLEVAUX, L'ANARCHIE DANS LA SOUPE
12 février 2017

FRIPOUILLE LE CHABLAISIEN ou l'insoutenable légèreté de mes maîtres ( Episode n° 7)

 

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FRIPOUILLE LE CHABLAISIEN

ou l'insoutenable légèreté de mes maîtres 

( feuilleton hebbo, paraissant le Vendredi)

 

Il n’est pas plus traître miroir que celui de la fiction. Les morts dans la pénombre, les êtres vivants, les ombres nues de l’enfance, les ressemblances ou encore la fortuite et pure coïncidence... L’imposture, même inconsciente, d’un auteur avec sa propre histoire déconstruite a immanquablement des reflets...

 

 

 

J’arrive où je suis étranger

 

C’est une chouette ville, Thonon. Une découverte pour moi qui n’ai connu qu’une préventive détention à la SPA du Chablais.
Devant moi, la famille Beyer.

 

1280px-Thonon-les-Bains_-_square_Eberbach


Éléonore se retourne tout le temps en me montrant ses belles dents. Madame se repoudre longuement devant la glace du pare-soleil. Jean-Charles, renfrogné et boutonneux, est tourné sur le côté. Il fixe la route par la fenêtre de la berline. 

Monsieur Beyer, lui, a des chaleurs. Il transpire de derrière les oreilles. 

Dans cet espace confiné, mon constat olfactif de jeune chiot est simple et rapide : les filles sentent bon, le garçon, la savonnette, et le conducteur, la moite transpiration.
La voiture ralentit boulevard du Général Dessaix. 

Un portail métallique qui s’ouvre, je n’ai pas vu comment, une belle bâtisse en pierre de taille au-dessus de la moyenne, nous sommes enfin arrivés chez mes adoptants, les Beyer. 

Dès l’ouverture du coffre, je bondis chercher de l’air frais en faisant quatre fois le tour de la maison.
- Fripouille, Fripouille, viens, me dit la petite Éléonore d’une voix qui m’attendrit.

J’accours. Elle se baisse.
Je saute d’un coup dans ses petits bras. Ils sentent bon comme le pain au chocolat.
Nous rentrons à l’intérieur. 

Ici, oui, comment décrire sans faire trop dans les longueurs et les superlatifs ?

Ici, c’est, c’est...
Oui, voilà, Maman, je m’en souviens, tu serais fière, du Baudelaire arrangé à ma manière.

 

800px-Étienne_Carjat,_Portrait_of_Charles_Baudelaire,_circa_1862

Ici, tout est luxe, calme et propreté...


Nous en avions autrefois même ri, blottis l’un contre l’autre dans la puanteur des excréments de nos frères et de nos sœurs de misère, abandonnés à la SPA. 

Une baraque de bourges, putain, il y a du pognon là-dedans !

 

Vase_meiping_Musée_Guimet_2418


Du marbre, des tapis, des tableaux même pas beaux, des cuivres, des bibelots, et là-haut encore, oh vin dieu, l’escalier, les meubles, les télés, et cette couette, vite, je m’y jette...


C’est moche, ces pensées, ces phrases, ces images qui recouvrent les plus belles d’entre elles.
Maman, dis-le, Maman, de là-haut, que mon salaud de papa n’a pas tout gâché, oui, tout gâché en moi ?
Me faudra-t-il toujours gérer cet atavisme et cette dualité en moi, le raffinement du savoir, de la connaissance, avec la canaille, le caniveau ?

FRIPOUILLE SALLE DE BAINS


- Non, mais, c’est pas vrai ! Il est entré dans notre lit.
Pierre-Jean, bon sang, attrape-le !
Il faut le shampouiner. Il sent le caniveau à plein nez.
Je suis conduit illico, et aussi avec presto, dans une pièce blanche immense carrelée et ornée de liseré de couleur bleu bonbec. 

Dans la baignoire ovale, près du mitigeur doré, Monsieur Beyer me serre le cou.
Je me débats un peu pour le fond et la forme musclée de cette intervention préméditée. Rien à faire. 

Une sorcière surgit de l’arrière, m’asperge avec un liquide vert bleu, des oreilles à l’extrémité de la queue.

 

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Mon dieu, que cela pue ! Pas moyen de me défaire. Mes pattes avant et arrière glissent sur une mousse d’enfer. 

- Tiens le bien, plus fort !
Et madame Beyer, cette peste décidément de Monique, de me rentrer ses doigts sans ménagement et pas dans le sens du poil ! J’hurle. Je trépigne. Je jappe.
Les enfants de la famille sont devant la porte.
Quel spectacle, quelle honte ! 

Mais le supplice n’est pas fini. Le sèche-cheveux, cette odeur de volaille grillée, la serviette et, cerise sur le cabot, Monique a versé sur mon pelage plusieurs gouttes d’un flacon avec un nom doré : Chanel.

 

CHANEL_No5_parfum

Lorsqu’on me lâche, je me roule par terre sur le dos.
Jean-Charles me caresse. Monique m’approche de son nez.
À la commissure de ses lèvres, je perçois un léger sourire.
Éléonore me récupère et toute la famille entière redescend.
- Viens avec moi, Éléonore, dit Monique, nous allons présenter ton chien à Jacqueline, et lui demander de lui faire une pâtée.

  • -  Jacqueline, voici un nouveau membre de la famille, il s’appelle Fripouille. Il devra manger éloigné, tous les jours, vers 19 heures ! 

  • -  Ah bon, fallait plus que ça, ici ! dit cette forte dame, courte sur pattes, avec un gros cou, des lunettes en modèle culot épais de bouteille, un tablier Vichy d’époque et deux longs poils sur le 

    menton.
    Je m’approche de ces jambes arquées. Je remue la queue, bien intentionné. Je veux faire du lien. Je lui lèche une chaussure...
    Rien, elle recule. Sans grâce, elle s’en retourne devant une casserole d’où s’échappe un fumet de bouillon délicieux. 

Une tête de mégère, oui... cette bonne à tout faire, mais Jacqueline m’a servi, une heure plus tard, une assiette de pâtes du tonnerre au jus de cochon et petits lardons faisandés.
Sans doute une brave femme, un peu bourrue... Je quémande un peu de rab en me frottant contre ses bas de contention. 

- Ah non ! Dégage ! J’ai pas que ça à foutre si je veux regarder tout à l’heure Plus belle la vie. 

Je passe le vestibule. Je rejoins le salon. Toute la famille est réunie autour d’une table ronde, d’une brandade de morue et d’un journal télévisé présenté par un petit roquet bien toiletté nommé David Pufiadas.

 

David_Pujadas_USA

Je grimpe sur le canapé en cuir de zèbre ou de vache normande. Je déclenche aussitôt une réaction.
Monique se lève et me réprimande.
- Non, Fripouille, jamais ici, t’as compris ! Là, ici, tu vas être là ! 

Cette couverture, c’est pour ce soir. Demain, au bazar pour chiens, nous irons choisir un panier, une laisse, un nouveau collier, une balle, du vermifuge, un imperméable et un os reconstitué en nerf de bœuf. 

Sacré programme. J’ai comme une envie de pisser.
J’attends devant la porte d’entrée. C’est Pierre-Jean, essoufflé, qui m’ouvre.
Entre chien et loup, il remonte de leur jardin un début de fraîcheur. Je lève la patte devant un rosier. Mon maître, lui, soulage sa bisôle juste à côté. Je reviens trop tôt. Il n’a pas fini.
Je repasse devant lui, trop tard, il ne m’a pas vu. Il me pisse dessus. - Non, crotte, Fripouille !
Nous rentrons. Je suis crevé.
Urine et Chanel, mon odorat est comme submergé par ces fragrances trop humaines.

Quelle journée ! Je vais me coucher.

 

Polycarpe.

(impatient de la suite, un livre existe, il peut se commander sur le site de l'éditeur à Archamps)

FRIPOUILLE

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